La particularité de cette introduction (qui peut presque se lire comme une nouvelle indépendante) est qu'elle est aussi une conclusion.
Je m'explique: cette partie se déroule à la fin du roman, mais c'est elle qui introduit l'histoire.
(Je ne présente pas encore le résumé de ce roman, c'est un choix volontaire. Quand au titre, il peut encore être sujet à des modifications).
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Nathalie Viette est sortie de la
station de métro « Père Lachaise » vers seize heures quarante. Elle
n’avait jamais auparavant utilisé le métro pour se rendre au plus célèbre des
cimetières parisiens. Ainsi, en sortant de la station du même nom, elle aurait
imaginé pouvoir se retrouver directement en face de l’entrée principale du
cimetière, mais non, il lui fallait encore longer le grand mur d’enceinte en
pierres. Tant pis, ça ne lui fera pas de mal de marcher un peu.
On est la veille du jour de La
Toussaint, les paroles fortes entrecoupées de rire d’un groupe de jeunes font
remémorer à Nathalie que ce soir, c’est Halloween.
« T’imagines, ceux qui font
une soirée dans le cimetière ce soir là ! Ca doit être un truc
flippant ! » Voila la phrase qui l’a interpellée et à laquelle elle
réagit avec une surprise quelque peu détachée. D’abord, elle avait totalement
oublié jusqu’à l’existence d’Halloween, il faut dire que dans son quartier
résidentiel, les pauvres enfants déguisés en monstres qui voudraient demander
des bonbons risquent de finir longtemps bloqués devant les lourdes portes à
digicodes. Ensuite, il lui semble que le cimetière est fermé la nuit, donc à moins d’escalader les murs, elle n’imagine guère la présence d’une soirée épouvante. D’ailleurs, en dépit de ses nombreuses visites au Père Lachaise, Nathalie n’a jamais vu un seul de ces « gothiques romantiques » errer entre les tombes et mausolées afin d’y rechercher l’ambiance sereine de cette cité des morts.
Par contre, des touristes, ça on peut dire qu’on en trouve à la pelle, sans faire de mauvais jeux de mots. Pareil pour ce soir là, où des grappes de ces touristes des cinq continents, armés de leurs anoraks et appareils photos se mêlent aux Parisiens venus fleurir des tombes en avance. Ainsi, aux petits vendeurs de plans de visite du cimetière se mélangent des vendeurs de fleurs colorées.
Nathalie ne fait pas de pause en passant la barrière d’entrée, elle a déjà son bouquet de fleurs. Trois grosses fleurs, une jaune, une rose et une blanche, sont-ce des cyclamens ? Des orchidées ? Elle n’en sait rien, elle n’y connait rien en fleurs, elle les a juste acheté chez un fleuriste en venant parce qu’elles lui semblaient belles.
Mieux encore, Nathalie n’a aucune
famille ou ami enterré ici, la seule personne pour laquelle elle aurait une
raison valable de venir fleurir sa tombe n’est pas ici, et de toute façon il a voulu
être incinéré.
Dès qu’elle commence à gravir
l’allée pavée principale, elle cherche du regard une tombe sur laquelle elle
pourra poser ses fleurs. Un rituel qu’elle se fait un devoir d’accomplir à
chaque fin d’enquête difficile et éprouvante. Elle va choisir une tombe selon
son attirance ou différents critères qui lui sont propre. Mais pas ici, plus haut dans le cimetière surement, il y a trop de peuple et de bruit en bas. Ah ça, si on vient rechercher le calme d’un lieu de recueillement, il ne faut surtout pas venir au Père Lachaise. Sauf si comme Nathalie, on aime emprunter les petites allées intérieures sur les hauteurs, voir slalomer entre les tombes. Il n’y a vraiment que loin des « avenues internes » entre les grandes divisions que l’on peut échapper aux touristes cherchant avidement les tombes fleuries de Jim Morrison jusqu’à Edith Piaf en passant par celle de Mano Solo. Du nombre incroyablement élevé de célébrité plus ou moins connus enterrées ici, Nathalie n’a du en voir au mieux moins d’un dixième, ce qui pour elle n’est pas grave puisqu’elle ne les recherche pas spécialement, sauf la tombe mégalo d’Oscar Wild, qu’elle n’a toujours pas trouvé faute de ne l’avoir pas réellement cherché.
Arrivée à l’avenue circulaire
pavée, elle emprunte le passage de gauche. Sur les bords, s’enchainent ces
vieux caveaux familiaux, grands, effrayants dans leurs rigidités de pierre.
Nathalie ne peut pas s’empêcher de froncer des yeux en imaginant cette vieille
tradition d’alors des grandes familles qui voulaient que tous les membres soient
liées ensemble dans l’éternité malgré d’éventuels et violents différents
familiaux qu’ils auraient pu avoir durant leur vivant. Ces morts trouvent-ils
vraiment le repos en se partageant l’étroitesse et la froideur de ces
tombeaux ? Une chose est sure pour Nathalie, elle ne déposera pas ses
fleur dans un ces vieux caveaux, elle aurait trop peur d’y contracter une
malédiction post mortem.
Le soleil commence à prendre ses
teintes du couchant, normal c’est l’heure d’hiver. Ciel dégagé, froid plus
intense, Nathalie quitte cette route trop dégagée pour joindre une traverse.
Chemin de traverse, propice aux traversés, elle y croise un groupe de trois
jeunes hommes, étudiants ou touristes mais en tout cas étrangers et pas tous du
même pays vu qu’ils communiquent entre eux dans un Français d’apprentissage à
couper au couteau. Ils remarquent sur le côté gauche une tombe fleurie protégée
par une de ces barrières molle de chantier orange vif, ce qui dénature
violemment cette vieille tombe haussée d’un gros buste sombre d’un homme du
dix-neuvième siècle. Nathalie passe rapidement à côté pour ne pas les gêner car
un des trois jeunes insiste auprès de ses camarades pour se faire prendre en
photos à côté de la tombe. En passant, ses yeux roulent tellement vite sur le nom
du prestigieux enterré qu’elle ne parvient pas à se remémorer le nom une fois
la tombe passée. Un écrivain avec un nom commençant par un B….ou un D….aucune
idée, mais pourtant connu dans l’histoire littéraire française, ça elle en est
sure. Elle laisse filer l’oreille pour essayer de pêcher la réponse dans les
paroles des trois jeunes derrière, mais ces derniers n’évoquent pas le nom,
trop occupés qu’ils sont à se remémorer avec difficulté et forts accents d’un
titre de livre de cet écrivain. Et puis il est trop tard, Nathalie n’a pas
ralentie l’allure rapide de ses pas et les voix se perdent derrière elle.
« Tant pis, écrivain connu, pour moi tu resteras aujourd’hui encore
inconnu…. ».
Nathalie a longtemps marché à
travers les allées à l’intérieur des divisions, elle y a vu plein de noms,
homonymes de rues ou d’avenues, plein de style de tombe et d’écriture
différente selon l’art de décoration et les confessions. Elle a même croisé une
tombe anonyme (effacée avec le temps) en forme de petite pyramide, probablement
quelqu’un mort à l’époque de l’Egypto-mania de la fin dix-huitième siècle, et
du dix-neuvième siècle. Il y a beaucoup de ces décorations à
l’« occidentalo-égyptienne » dans ce cimetière. A l’intérieur de
certains vieux caveaux, elle y a vu des déchets : vieilles chasubles en
état de décomposition, restes de vieille télévision hors d’usage et d’autres
objets insolites qui font se demander « pourquoi ? » à l’esprit,
sans réponse valable. Mais malgré tout cela, Nathalie n’a pas encore trouvé la
tombe sur laquelle elle va poser ses fleurs.
A la sortie de l’allée qu’elle
emprunte actuellement, une famille de touriste s’engouffre derrière une grande
tombe pour prendre le plus rapidement possible une autre derrière en photos.
Une tombe superbement décorée d’un bronze verdâtre d’une vierge se penchant sur
le gisant du mort. Nathalie ne peut refreiner un petit rire amusé devant
l’empressement de ces touristes à prendre leur photo, ce n’est pas la première
fois qu’elle voit cela. S’il s’agissait de prendre en photo une voiture de
collection qui circulerait sur une route, d’accord, mais cette tombe là, ne
risque pas de partir très loin ! Et c’est encore plus comique devant des
monuments de plusieurs tonnes comme la tour Eiffel. Elle se les imagine
s’entendre dire : « vite, prenons là en photos, on ne sait
jamais, elle pourrait se décider à partir dans la seconde, même si ça fait plus
d’un siècle qu’elle est là ! »
Et il semble qu’en cette fin
d’après midi, Nathalie n’a pas fini de voir des choses surprenantes. En continuant
à monter plus haut dans le cimetière, elle voit une tombe de forme plutôt
récente avec un gros petit chien caniche, grandeur nature et tirant sa langue
en porcelaine, collé dessus. « Un compagnon d’éternité pour une concession
à perpétuité. » Plus loin c’est un vrai chat noir assis entre les fleurs d’une tombe qui vole la vedette à la dernière demeure d’Yves Montand et Simone Signoret auprès d’un jeune couple de touriste. Nathalie ne peut pas croire que ce chat a choisit par simple hasard juste la tombe voisine des célèbres artistes, elle aurait bien voulu offrir ses fleurs à ce chat, mais il en a déjà beaucoup trop autour de lui.
Le parcours de Nathalie est à
l’image de sa quête actuelle : hasardeux, incertain, sans logique. Elle
redescend, passe devant le grand funérarium au centre, y voit un enterrement ou
une crémation qui s’y déroule, ce qui la ramène dans la réalité de sa présence
dans un vrai cimetière, chose que l’on oublie au milieu des touristes et tombes
célèbres.
Finalement, elle trouve l’endroit
qu’elle recherche, un de ces passages entre des tombes oubliées, couvertes de
mousse d’un beau vert. Ici, on ressent le calme et le repos éternel des
résidents. Mais c’est aussi un endroit tragique, car des tombes relativement
récentes, n’ayant aucun dallage pour certaines, abritent ceux qui sont morts
trop tôt !Une mosaïque de jeune adolescente de dos, des galets peints déposés devant, des petits bocaux emplis de sable, des reliques d’objets colorés, des fleurs encore fraiches, des photos de jeunes adolescent(e)s sous un plastique de protection et les dates qui confirment le trop jeune âge de ces décès tragiques : 14ans, 18ans, 19ans, etc.…..Des enfants, des jeunes artistes….. Quels drames de la vie ont pu les envoyer dans ce lieu aussi vite ?
Et sur une de ces récentes tombes, un échiquier est posé ainsi que certaines pièces de jeu devant lui. Aux photos, on voit qu’il s’agissait d’un jeune joueur d’échec professionnel au nom vaguement russe ou slave. Attend-il un nouvel adversaire depuis son ultime demeure ?
Nathalie a voulu déposer ses fleurs sur une de ces tombes mais elle s’est rétractée au dernier moment. Elle ne saurait l’expliquer, mais elle est comme persuadée qu’elle doit encore réserver ses fleurs pour quelqu’un d’autre.
Le coucher de soleil orangé devient
encore plus rougeâtre, c’est le profond crépuscule qui s’annonce. Il n’est
pourtant que dix-sept heures vingt, on sent l’hiver venir. Dans les arbres mis
à nus par l’automne, les corneilles avec leurs parures et allures de corbeaux
se mettent à croasser. A point nommé, cela s’accorde parfaitement à l’ambiance.
En redescendant sur « l’avenue
circulaire pavée » du cimetière, Nathalie s’aperçoit que cette nouvelle
luminosité de début de soirée lui fait remarquer certains détails inquiétants
sur les tombes : une chauve souris moulée sur le grillage en fer d’un
caveau entre des médaillons de clepsydres aillées et des portraits de vierge
fermant les yeux. Très vite après cette découverte, c’est comme si une
multitude de détails troublants lui sautent aux yeux, des statues de vierges
abimées prenant des formes de gargouilles, des têtes de mort ailées ornant
le sommet d’un caveau, des bustes et des visages en médaillons de profil aux
expressions extrêmement austères…….
Et soudain, les lèvres de Nathalie
cessent de s’amuser de la découverte de ces détails de décors
d’ « épouvante ». Un air profondément grave et empli de
tristesse l’assaille lorsqu’elle voit Cette tombe !
Une tombe sur laquelle le nom est
écrit en idéogrammes asiatiques. Ce n’est pas la première qu’elle voit ainsi,
il y a beaucoup d’asiatiques de confession chrétienne enterrés ici, mais celle
là est particulière.Particulièrement tragique compte tenu de l’âge de la petite fille qui y est enterrée. Entre la date de naissance et celle du décès, il n’y a que cinq années. Cinq années ! On peut en faire des choses en cinq ans, mais du point de vue d’une vie humaine, c’est dérisoire !
Nathalie n’arrive toujours pas à croire que dans la société actuelle de son pays, on puisse mourir à cinq ans. Pour elle, des notions comme « la mortalité infantile » datent d’un autre siècle, si antérieur qu’il lui semble révolu.
Elle se sent idiote de se sentir choquée comme cela. Avec son boulot, elle en voit pourtant des choses terribles et malsaines mais, heureusement peut être, elle n’a jamais eu à traiter une affaire impliquant la mort d’un tout jeune enfant.
Nathalie pose automatiquement ses fleurs sur la tombe de cette petite fille asiatique représentée souriante et pleine de joie dans un médaillon. Maintenant elle sait que cette visite au Père Lachaise la prédestinait à déposer ses fleurs ici. Elle ne peut pas lire les idéogrammes asiatiques, elle ne sait donc pas le nom, mais d’instinct, elle sait qu’il s’agit de la petite fille qui fut le déclencheur de toute l’affaire qui l’a ébranlé cet été dernier.
En silence, elle repart. Pour sortir définitivement du cimetière cette fois-ci. Elle ne remarque rien ni personne ne ressortant. Nathalie ne se sent pas pour autant chamboulée, au contraire, elle est sereine, maintenant et maintenant seulement, cette affaire est terminée.
Depuis le grand portail de sortie,
elle distingue une haute tour dans la dernière bande lumineuse de l’horizon. « Montparnasse
peut être ? On peut la voir d’ici ? »
Puis, lançant de vifs regards
autour d’elle, elle distingue les gens fatiguées sortir des métros, des bus ou
encore des bistrots après leurs pénibles journées de travail et ils
s’éparpillent en fantomatiques silhouettes silencieuses jusqu’à leurs
appartements.Vraiment, à la vision de ces corps fatigués, associés à la succession d’affaires tragiques qu’elle eu à traiter ce dernier été, Nathalie se demande si elle ne ressentait pas plus de vie à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur du cimetière !
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